L'œil du planning strat

Rares sont les occasions de faire l’éloge du « moins ». On préfère l’associer à la notion de réduction, de déduction, à l’infériorité. Et pourtant, dans une société d’opulence mise sous tension par des enjeux environnementaux et de santé publique, le « moins » fait revivre le mode de pensée des pionniers du modernisme architectural (rendons notamment hommage à l’architecte allemand Ludwig Mies van der Rohe) dans tous les prismes du secteur du marketing et de la communication : simplifier pour performer, autrement dit « faire simple, pour faire mieux ».

Eteindre pour mieux entendre. Raisonner pour mieux communiquer.
Face à la multiplication des messages publicitaires qui s’imposent à nous quotidiennement ou à l’actualité devenue infobésité, ont émergé des comportements qui appliquent parfaitement ce mode de pensée. L’élimination du superflu au profit de la clarté et de la fonctionnalité se traduit dès lors pour les individus par un souhait de déconnexion, pour les communicants par la nécessité « d’équilibrer le rapport entre le signal et le bruit », comme l’exprime Benjamin Perret, à l’époque, Directeur de la Communication d’EDF.
Du moins, partout.
Cet aphorisme éclaire d’ailleurs tous les pans de notre quotidien, brandi comme la solution idoine face à la surconsommation. Et c’est bien normal. Dans un horizon 2050 aussi lointain qu’imminent, nous sommes engagés, bon gré mal gré, à réduire drastiquement notre empreinte carbone par l’Accord de Paris visant à limiter les effets du réchauffement climatique. Cela s’applique à l’échelle des gouvernements et des entreprises certes, mais également des individus. Un Français moyen émet 10 tonnes de CO2 en moyenne chaque année. Plus qu’une soustraction, il faut diviser cette donnée par 5 pour en atteindre l’objectif.
Le “moins” ruisselle … Alimentation ? Flexitarisme. Mode ? Quiet Luxury. Production ? Made in France.


Piège ou opportunité ?
Si la démarche est cruciale pour faire émerger les modes de vie durables qui répondent aux défis de demain, ils nous confrontent à des résistances inattendues. A la démocratisation déclarative du flexitarisme visant la réduction des produits carnés dans l’alimentation, s’oppose la réalité d’une consommation qui ne décroît que très peu jusqu’en 2021, avant que l’inflation n’ait des effets plus tangibles. Le Quiet Luxury ou Old Money, tendance répondant par opposition à la logomania effrontée (le maximalisme apparu au sortir des confinements successifs liés à la crise sanitaire), redéfinit les contours d’une mode luxueuse simplifiée, épurée, sans ostentation. Mais en dépit d’une volonté manifeste de ralentir, le monde du prêt-à-porter voit les acteurs de l’ultra-fast fashion, plus puissants que jamais, s’approprier ce concept esthétique en l’industrialisant à raison de 4000 nouvelles références publiées chaque jour. Pire, certains chercheurs ont permis de démontrer comment la 2nde main entretien la surproduction de l’industrie textile. Quant au Made In France, dont le salon annuel vivra sa 13ème édition en 2025, il peine toujours à s’imposer dans les réflexes de consommation.
A ces constats, on peut suggérer l’hypothèse de l’autoresponsabilité (des designers et communicants que nous sommes), tombés dans le piège de la standardisation. Souvenons-nous de l’homogénéisation des logotypes des marques de luxe. La disparition des couleurs au profit du beige confère-t-elle réellement une prise de valeur de nos intérieurs et garde-robes ? Faut-il consommer, littéralement, du « bleu, blanc, rouge » pour consommer localement ? Sait-on se nourrir sans produits carnés, mais sans dégrader notre alimentation ?
Moins mais mieux, oui. Mais avec singularité.
C’est alors un enjeu capital pour les communicants, marques et agences de séduire tout en se distinguant, en se démarquant raisonnablement au sein de cette nouvelle norme. Il s’agit d’embrasser le concept de sobriété sans perdre en unicité, en accompagnant le consommateur, et sans se retourner vers un maximalisme identitaire symbole d’opulence. C’est en habitant le désir collectif de singularité (au-delà de la promesse de qualité) que les marques pourront faire émerger la sobriété heureuse, celle qui n’est pas contraignante mais responsable et individuelle, celle qui est à tous points de vue… mieux.
